MON TOUT PREMIER BOUQUIN par Éric Mie

C’était dans mes années barbares. Je sortais de C.P.P.N et d’une scolarité désastreuse. Je ne me sentais pas bien à l’intérieur de moi. Y’avait comme une révolte pas maitrisée. J’avais, comme on dit, le fond mais pas la forme. Je voulais hurler au monde entier mon dégout de ce monde et de ses cons qui le dirigent que ce soit en haut d’un état de merde ou tout en bas, dans la petite cuisine familiale où le daron abuse.
Je cherchais les mots mais je ne les avais pas… Je ne savais pas bien écrire et je ne lisais que des bandes dessinées… A 17 ans, après les Franquin et les Gotlib, j’en étais aux auteurs plus trash, les Reiser et autres Wolinski.
N’ayant déjà pas de fric, j’achetais tout ça chez les bouquinistes où y’avait toujours des vieilles piles d’Hara-Kiri et de Charlie Hebdo des années 70. Je les prenais pour les dessins mais j’avais remarqué que la plupart des textes étaient signés d’un certain Cavanna. Alors quand je me suis retrouvé dans la bibliothèque de la SNCF (mon père était cheminot) pour emprunter un vrai livre, j’étais tout content de retrouver ce nom qui m’était déjà familier.

Je n’avais encore jamais lu de vrais livres.
J’avais bien essayé des fois mais je les refermais bien vite sous le poids de l’incompréhension et l’horrible sentiment d’infériorité. C’était « L’œil du Lapin ». Et ce fût une révélation. Pour une fois, on ne me prenait pas pour un con et on me parlait, à moi, comme jamais quelqu’un l’avait fait avant. Je comprenais tout et ça s’allumait dans ma caboche. Les fameux mots que je recherchais depuis longtemps étaient tous, bien là. Et le mec qui les utilisait m’ouvrait enfin la porte de la littérature.

Après ce livre, que j’ai dévoré en une après midi, ça ne s’est jamais plus arrêté. J’ai repris toute ma pile de vieux Charlie et Hara-Kiri et j’ai tout lu. Je suis retourné aussi à la bibliothèque et j’ai tout lu, tous les Cavanna bien-sûr, mais aussi tous ceux qui se rapprochaient de sa prose populaire et libertaire et, même après, tout ceux qui me faisaient peur, les Kafka, Céline, Camus et Cie. C’est grâce à lui si je suis un peu moins con et surtout grâce à lui que j’ai découvert ce qui brûlait en moi sans savoir comment le nommer.
Ce goût pour la liberté, l’anarchie et ce refus de tomber dans tous les pièges à cons. A défaut d’un prof bienveillant, Cavanna fût ce mec qui m’a pris par la main. Et, 20 ans plus tard, j’ai pu lui dire tout ça un jour où il dédicaçait, avec Cabu, un livre sur Mai 68 dans une petite librairie parisienne. Cavanna c’est le mec qui ne m’a jamais déçu.

Eric Mie (sur sa page Facebook)

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