NOUS SOMMES LE 25 AOÛT

Nous sommes le 25 août 2022.

Le mercredi 25 août 1830, au Théâtre royal de la Monnaie, à Bruxelles, on donnait « La Muette de Portici », un opéra en 5 actes de Daniel-François-Esprit Auber, sur un livret d’Eugène Scribe et Germain Delavigne.
La veille, 24 août, c’était le jour anniversaire de S.M. le roi des Pays-Bas. D’importants préparatifs avaient été faits pour célébrer cette fête. Le lundi, un feu d’artifice devait être tiré porte de Namur. Le mardi, le parc tout entier devait être illuminé.
Ces réjouissances, qui avaient coûté une fortune à la municipalité, étaient loin d’enthousiasmer les Bruxellois. L’ambiance était lourde d’animosité et on pouvait lire, tracées au charbon, sur les murs, ces lignes menaçantes :

« Lundi, feu d’artifice ; Mardi, illumination ; Mercredi, révolution ! ».

Le temps étant à la pluie, les lundi et mardi, le prétexte était tout trouvé pour annuler le feu d’artifice et les illuminations. Les inscriptions annonçant une Révolution pour le mercredi, avaient inquiété les autorités de la ville. Après bien des hésitations, celles-ci avaient néanmoins, par crainte de désordres, fini par autoriser, le 25 août, la représentation de la « Muette de Portici » qu’elle avait interdite la veille.
Le roi Guillaume ne se doutait pas que c’était d’une salle d’opéra qu’allait partir le signal d’une révolution qui allait lui coûter le trône de Belgique. Encore moins avec un opéra dont le rôle-titre, paradoxalement pour un opéra, est tenu par un mime ou une danseuse.

La révolution belge aurait commencé au Théâtre de la Monnaie par une chanson, il est vrai “muette”. On a du mal à l’imaginer aujourd’hui.

Cette pièce, qui exalte le sentiment patriotique et le désir de liberté, à travers une fresque du peuple napolitain en révolte contre le joug espagnol au XVIIe siècle, avait tout pour exciter l’enthousiasme des Bruxellois en rogne.
Longtemps avant l’heure fixée pour le commencement du spectacle, un grand nombre de personnes avaient déjà rempli la salle. Au lever de rideau, un frémissement d’impatience parcourait le public et se communiquait à la foule considérable, qui n’ayant pu entrer dans le Théâtre de la Monnaie, restait stationnée sur la place.

C’est à la scène 2 du deuxième acte, que le public s’est vraiment échauffé, avec le duo de l’Amour sacré de la Patrie chanté par le rebelle Masaniello et son ami Pietro :
« Amour sacré de la patrie,
Rends nous l’audace et la fierté ;
À mon pays je dois la vie ;
Il me devra sa liberté. »

D’accord, c’était un peu lourdingue, mais ça a marché. Alors, quand au troisième acte, dans la scène 4, les personnages se lèvent en tirant leurs armes et que le chœur chante
« Courons à la vengeance !
Des armes, des flambeaux !
Et que notre vaillance
Mette un terme à nos maux ! » …

…les spectateurs ont suivi le mouvement et se sont levés en braillant : « Aux armes, aux armes ! ».

Un “calligramme” d’Apollinaire

À la sortie du spectacle, la foule se répand dans les rues. On se dirige vers les bureaux du journal pro-orangiste « Le National », voisins du théâtre. Des vitres sont cassées. Au domicile de Libri Bagnano, rédacteur principal du National, rue de la Madeleine, on brise les fenêtres, on enfonce les portes, les meubles sont détruits, les papiers et les livres déchirés et jetés par les fenêtres. Ensuite, on s’en va faire de même chez le chef de la police, rue de Berlaimont, et chez le ministre de la Justice, au Petit-Sablon, où on met le feu…
Avec tout ce chambard, toute la ville est réveillée. Les habitants sortent de chez eux et se joignent au mouvement. La nuit sera chaude. Et ça ne va pas se calmer dans les jours qui suivent. Mais de ça, on reparlera. C’est assez pour ce 25 août 1830.
Chose étonnante, depuis cet événement mémorable, cet opéra n’a plus jamais provoqué de tels débordements. L’œuvre est aujourd’hui tombée dans l’oubli, et les rares tentatives de représentations ne semblent avoir provoqué que de discrets bâillements.

Passons à tout autre chose, avançons d’un demi-siècle, et retrouvons un peu de poésie dans ce monde féroce…

Blessé au front, mais mort de la “grippe espagnole”

Si je vous dis : « Sous le pont Mirabeau… » À qui pensez-vous ? À Apollinaire, évidemment. Et à la même Seine qui coule toujours sous le même pont, et aux amours qui, pas plus que les temps passés, ne reviennent… Il aurait aujourd’hui 142 ans, le Guillaume, né le 25 août 1880.
Apollinaire est, en réalité, le cinquième prénom de Wilhelm Albert Włodzimierz Aleksander Apolinary Kostrowicki, ce qui n’est pas un nom facile à porter pour un poète français, mais pas exceptionnel pour un sujet polonais de l’Empire russe. Décédé le 9 novembre 1918, dans son appartement du boulevard Saint-Germain après avoir contracté la grippe espagnole, sa fiche militaire indique – un peu abusivement – qu’il est « mort pour la France » en raison de son engagement durant la guerre. Il a, en effet, été blessé le 17 mars 1916 au front après l’éclatement d’un obus à 20 mètres de lui.
Devenu « Apollinaire » par sa naturalisation en 1916, il n’aura donc porté ce nom guère plus de deux ans. En revanche, c’est sous ce nom qu’il restera connu pour l’éternité (ou presque).
On est à deux jours de l’armistice, quand Guillaume Apollinaire meurt, le 9 novembre 1918. Son dernier soupir est accompagné par la foule en liesse qui vocifère sous ses fenêtres, « À bas Guillaume ! ». Il n’est évidemment pas question du poète français, mais du Kaiser allemand, Guillaume II, qui vient d’abdiquer.
Étrange contraste que certains seraient enclins à qualifier de « surréaliste », tant ce mot s’emploie désormais à tort et à travers.
Tant qu’à se servir du mot, autant savoir d’où il vient. Sachez donc que le mot « surréalisme », apparaît précisément, pour la première fois, dans un texte que Guillaume Apollinaire consacre à « Parade », un ballet créé par Diaghilev, fondateur des Ballets russes, sur un scénario de Jean Cocteau, musique d’Éric Satie, décor et costumes de Picasso. Apollinaire voit dans les décors et les costumes, comme dans la chorégraphie, une « sorte de surréalisme ».
Voilà pour Apollinaire, on ne va pas énumérer ses œuvres ni en faire l’éloge. On n’est pas chez Lagarde et Michard. Écoutons-le plutôt…

Hélène Marin le chante superbement.
C’est par ici →

Jean-Louis Trintignant le dit superbement.
C’est par ici →

Il y en a un peu plus, je vous le mets quand même :

En 1899, Apollinaire séjourna à Stavelot. Il y fit la connaissance d’une certaine Maria pour qui il s’efforça de composer en wallon un poème dont chaque vers commençait par une lettre du prénom de la belle wallonne qu’en bon wallon il appelait Marèïe.

Mi crapaute, ji v’s ainme et vos l’sèpez, Marèïe
Al rôse, fleûr d’osté, v’s estez, mi fleûr, parèïe.
Rabrassez-mi ! D’nez, mi Marèïe, on betch d’Amour,
E wallon, m’binamèïe, è wallon ji v’s è prèïe !…
I fat todis m’warder, divins vosse p’tit cour ;
Elle est trisse li vèle, i fat qu’noste Amour mourt !…

Ci n’est nin co si mau pour un Polonais naturalisé Français, pas vrai ?

André Clette

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