Paradis fiscaux et Enfer climatique L’AMOUR VACHE

Au milieu des croustillantes fuites “people” et cra-cra qui ont accompagné la publication des “Pandora Papers”, une “vraie” information a peut-être pu vous échapper.
Elle réduit pourtant tout le reste à d’insignifiants bavardages. À un vent coulis automnal murmurant entre les arbres déjà déplumés. Pour rappel, la voici.
Dès le lendemain de cette publication, oui, le lendemain même, l’Europe a retiré les Seychelles de la liste grise des “paradis fiscaux”. Les Seychelles, qui étaient pourtant au coeur du scandale des “Pandora Papers”. Vous suivez ?
Hasard du calendrier ? Peut-être. Connaissant les circonvolutions de la bureaucratie européenne, et les courses d’obstacles des sous-commissions, une telle décision ne doit pas avoir été prise d’un claquement de doigt entre deux portes. Ou alors, c’est qu’il y avait vraiment le feu au lac (et même au camion des pompiers).
Mais la publication des “Pandora Papers”, impliquant plusieurs rédactions de grands journaux européens, ne s’est pas non plus décidée du jour au lendemain.
Et il serait très étonnant que l’annonce d’une telle enquête ne soit pas préalablement arrivée à la connaissance d’un responsable européen. Car si les services de renseignements étatiques n’ont pas au moins une oreille qui traîne dans les grandes rédactions, que peuvent-ils bien écouter ?
La décision de l’Union Européenne peut dès lors aussi apparaître comme une dérisoire manoeuvre dilatoire, un illusoire contre-feu.
La charge symbolique d’une telle décision est pourtant ahurissante.
D’autant qu’elle a été prise par les Ministres des Finances réunis au… Luxembourg (!), en l’absence du ministre néerlandais Wopke Hoekstra, lui-même cité dans les “Pandora Papers” pour avoir investi dans une société basée aux Îles Vierges britanniques ! Ben voyons…

Voilà ce qui a fait dire à Chiara Pataturo, une des expertes européennes d’OXFAM : «La décision prise aujourd’hui de retirer de la liste Anguilla, la seule juridiction encore en vigueur avec un taux d’imposition de zéro pour cent, et les Seychelles, qui sont au cœur du scandale des Pandora Papers, fait de la liste noire de l’UE une plaisanterie» (1).
Une plaisanterie, je ne sais pas. Mais une tartufferie, ça c’est sûr !
Car comment combattre la fraude fiscale (rebaptisée poétiquement “optimisation fiscale” par l’ineffable GLOUB) si l’on maintient en l’état les circuits financiers qui lui permettent de croître, d’embellir et de prospérer ?
Autant prétendre éteindre un incendie avec une lance à pétrole.
Or on parle là de sommes proprement pharaoniques.
Dans un rapport publié en 2020 par une autre ONG, Tax Justice Network (2), la fraude fiscale mondiale était estimée à 427 milliards de dollars (oui, je sais, à partir d’un certain nombre de zéros, on a du mal à imaginer ce que cela représente).
En Europe, étaient particulièrement touchés par cette enquête les Pays-Bas (36 milliards de dollars de perte), l’Irlande (16 milliards de dollars) et …. le Luxembourg (28 milliards de dollars).
Le Luxembourg, vous savez, ce petit pays verdoyant et vallonné où les Ministres des Finances de l’Union Européennes se réunissent en conclave quand ils doivent combattre la fraude fiscale.

On le sait, dimanche passé, des dizaines de milliers de personnes ont parallèlement défilé à Bruxelles pour dénoncer les causes du réchauffement climatique, et appeler à réellement les combattre. Show, show, le climat, chaud !
Je n’ironiserai pas d’avantage sur ces ministres et députés gouvernementaux qui, à leur côté, semblaient réclamer dans la rue des mesures qu’ils s’empressent d’oublier au gouvernement.
Je veux même bien admettre qu’un homme comme Paul Magnette a intellectuellement intégré la question environnementale au logiciel social-démocrate, fut-ce pour de modestes raisons de tambouille électorale.
L’usage de l’étiquette “éco-socialiste”, qui définit plutôt le courant politique incarné par la France Insoumise, ou par le Mouvement “Demain” en Wallonie, me semble toutefois relever ici de l’usurpation d’identité.
Disons simplement que ces partis seraient plus crédibles si, après avoir défilé contre les énergies carbonées le dimanche, ils ne précipitaient pas, dès le lundi, pour subsidier les aéroports de Liège et de Charleroi.

 

La manifestation contre le réchauffement climatique à Bruxelles

 

Car en cette “saison des tempêtes”, comme l’appelait Mélenchon, le sur-place n’est plus une option. Amis de l’eau tiède et des compromis “à la belge”, il faudra faire des choix.
Car on ne peut pas “en même temps” vouloir relocaliser les productions, et subsidier un pont aérien entre Pékin et Bierset.
On ne peut pas “en même temps” vanter les mérites des petits commerces de proximité, et laisser Amazon et Alibaba construire leurs hangars aux portes de nos villes.
On ne peut pas “en même temps” mener une politique de santé publique, et gaver les actionnaires de Big Pharma.
On ne peut pas “en même temps” reconnaître les malades du “COVID long”, et sanctionner les malades de longue durée.
On ne peut pas “en même temps” laisser exploser les prix de l’énergie, et prétendre défendre le pouvoir d’achat des classes populaires.
On ne peut pas “en même temps” financer la transition énergétique, et laisser prospérer, au coeur même de l’Europe, ou sur d’exotiques îlots, ces paradis fiscaux qui partout vampirisent et étranglent les finances publiques.
On ne le peut pas… et cela va finir par se voir et se faire savoir.

Claude Semal le 14 octobre 2021

 

(1) https://trends.levif.be/economie/banque-et-finance/l-ue-retire-anguilla-la-dominique-et-les-seychelles-de-sa-liste-noire-des-paradis-fiscaux/article-news-1476141.html
(2) https://www.liberation.fr/planete/2020/11/20/la-part-accablante-de-l-ue-dans-les-427-milliards-de-dollars-d-evasion-fiscale-mondiale_1806251/

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