RETOUR DE KIEV

Lorsque j’ai appris, il y a quelques semaines, le départ du cinéaste Alain de Halleux pour l’Ukraine, je m’attendais “bêtement” à ce qu’il nous en rapporte un reportage intimiste sur trois familles à Kiev, ou un docu filmé à l’arrache dans les tranchées du Donbass.

Car Alain connaît bien ce pays où il a travaillé  plusieurs mois, comme sur le film “Chernobyl 4 ever”, et avec lequel il a gardé des liens presque familiaux, puisque son “ex” compagne était ukrainienne.
Si l’on croise toutefois dans son film quelques images volées au quotidien, bâtiments effondrés et pigeons idiots picorant aux pieds des joggeurs du dimanche, comme autant de rituels dérisoires pour rappeler “la vie d’avant”, “Vers l’Europe, loin de Moscou” est avant tout un film reportage d’archives et d’interviews. À l’image de son excellent film documentaire sur le COVID, “Un grain de sable dans la machine”, ici-même déjà chroniqué (1) (2).

Avec un sens certain de la pédagogie et de la narration, Alain de Halleux nous raconte ainsi l’histoire récente de l’Ukraine, ce pays déchiré entre l’Europe et la Russie après la chute du Mur de Berlin, et qui vacille depuis plus de trente ans entre ses deux possibles destins. Jusqu’à ce que Poutine lui envoie ses chars et ses missiles pour trancher militairement la question, et punir ainsi la coupable hésitation de ce “pays frère” (Pas “ami”, “frère”. Parce que “ses amis”, on les choisit !).
Pourquoi Poutine se serait-il gêné ? N’avait-il pas déjà utilisé la force la plus brutale pour imposer la présence russe en Tchétchénie ? Et en 2008, les Russes n’avaient-ils pas déjà envoyé leur armée en Géorgie ? Et Poutine n’avait-il pas très récemment pu annexer la Crimée sans émouvoir semble-t-il outre mesure la communauté internationale ?
De plus, Poutine sait que l’Europe est carbo-dépendante au gaz et à l’énergie russe.
Et que cette dépendance énergétique aurait dû, selon lui, étouffer rapidement toutes velléités de protestations diplomatiques européennes. À défaut, quelques roulements guerriers de mécaniques, agrémentés de vagues menaces nucléaires, calmeraient les plus récalcitrants.

Et puis, il y a Zelensky, que Poutine méprise copieusement. Avec cet ancien clown comme chef de guerre, un sous-Reagan (qui sait bisexuel ?) qui avait joué du piano avec sa bite dans les cabarets de Kiev, et qui n’avait jamais été président que dans un feuilleton TV, Poutine s’attendait à ce que le gouvernement ukrainien s’effondre piteusement en quelques jours. Et il n’était d’ailleurs pas le seul à le penser.
Les Américains eux-mêmes n’avaient-ils pas proposé à Volodymir Zelensky de “l’exfiltrer” discrètement hors d’Ukraine, face au pressenti rouleau compresseur de l’armée russe ? La légende raconte que le jeune président, que 70% des Ukrainiens avaient porté au pouvoir, aurait alors répondu : “Je n’ai pas besoin d’un taxi, mais d’un révolver ! “.
On connaît la suite. Non seulement le gouvernement et l’armée ukrainiens ont “tenu bon”, mais ils ont (déjà) chassé l’armée russe de toute la partie nord du pays.
Et après quelques semaines d’hésitation, nourrie par la crainte d’un engrenage militaire, les USA et plusieurs grandes puissances européennes se sont aujourd’hui engagés à fournir à l’Ukraine l’armement lourd et la technologie qui lui font parfois défaut. La guerre, qui a déjà fait plus de 100.000 morts dans chaque camp, s’installe désormais dans la durée, et son issue est redevenue incertaine.

Entre Bruxelles et Kharkiv, une ville du nord-est de l’Ukraine qui avait été un des premiers objectifs militaires des Russes, Alain de Halleux construit peu à peu son récit. Il filme à distance, au fil des saisons, son dialogue permanent avec Dima, un cinéaste qui vit à Kharkiv sous les bombes, loin de sa femme et de ses enfants, et qui s’apprête à passer un hiver sans électricité en brûlant pour se chauffer le bois de son propre plancher. Allégorie de cette tranquille résistance dos au mur, quand on a, comme on dit, ” brûlé tous ses vaisseaux“.

Voici comment Alain lui-même présente ce très complet et très intéressant docu-reportage : “En attaquant l’Ukraine, Poutine termine la construction de l’identité ukrainienne. Mais cette guerre interroge du même coup l’identité européenne. Elle exige qu’on se penche sur l’histoire des relations entre la Russie et l’Occident. Elle met en lumière nos dépendances en termes de ressources vis-à-vis de la Russie, en terme de sécurité vis-à-vis des USA. Elle bouscule nos économies au point que les conséquences sociales et politiques seront redoutables. Avec l’adhésion éventuelle de l’Ukraine à l’UE, elle pose la question de l’élargissement. Bref, elle nous oblige à repenser le projet Européen et son rôle dans le monde“. Vaste(s) sujet(s), qui trouve(nt) ici une très belle entrée en matière.

Ukraine : vers l’Europe, loin de Moscou“, de Alain de Halleux, sera diffusé à la RTBF le jeudi 16 février à 22 h 30 et sur ARTE le mardi 21 février à 22 h 25. A vos agendas !

Claude Semal, le 6 février 2023.

(1) “LE GRAIN DE SABLE DANS LA MACHINE”

(2) Ukraine : UN CHIEN DE GUERRE DANS UN JEU DE QUILLES NUCLÉAIRES

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