UN PRINTEMPS SYNDICAL ITALIEN ? par Hugues Le Paige

Les syndicats sont de retour sur les places italiennes. Ce vendredi 17 novembre avait lieu la première des cinq journées d’action (par région) décrétées par la CGIL et l’UIL (1) pour s’opposer à la politique du gouvernement Meloni.

En cause plus précisément : le budget d’austérité, le refus d’un salaire minimum (9 euros /heure), l’augmentation des contrats précaires et le plan de privatisation du gouvernement (20 milliards d’euros).
Mais aussi des revendications plus politiques concernant la volonté du gouvernement Meloni de réformer la Constitution de 1946 (l’une des plus démocratiques au monde (2) et basée sur l’antifascisme) sur deux points essentiels.
L’instauration d’une « autonomie différenciée » voulue par la Lega de Salvini et qui aurait pour effet d’accentuer encore davantage les inégalités entre le Nord et le Sud, au détriment de ce dernier. S’ajoute à cela la volonté de Meloni de faire élire le Premier ministre au suffrage universel, une démarche autoritaire qui priverait le Président de la République de l’essentiel de ses prérogatives.

Les travailleurs, les retraités et les étudiants ont répondu à l’appel des syndicats. La participation aux actions et aux manifestations (cette fois à Rome et dans le centre de l’Italie) a été très importante (des taux de grévistes jusqu’à 70 % dans certaines branches et des dizaines de milliers de manifestants dans la rue).
Cette mobilisation a été marquée par la décision du ministre des Transports, Matteo Salvini, de déclarer la grève générale illégitime et de réquisitionner les travailleurs du secteur de la mobilité (3). C’est une première dans l’histoire sociale de la République italienne.
Le secrétaire général de la CGIL, Maurizio Landini considère qu’il s’agit d’une grave atteinte au droit de grève. Elle s’inscrit, en tous cas, dans la politique autoritaire du gouvernement Meloni et a sans doute contribué à mobiliser encore un peu plus les grévistes.
Pour la première fois depuis de longues années, les syndicats adoptent une attitude conflictuelle sur la globalité de la politique gouvernementale et veulent défendre une alternative (4).

Ce choix de la démarche conflictuelle tranche avec l’évolution syndicale des dernières décennies. Le syndicalisme italien avait connu son âge d’or dans les années 70. Le fameux « automne chaud » de 1968-69 avait débouché sur des conquêtes sociales sans précèdent (conventions collectives, droits démocratiques dans l’entreprise, contrôle des investissements) sous la conduite d’un syndicat unifié et de « conseils ouvriers » dans l’usine. Jamais, sans doute, un conflit de classe n’avait pris une telle ampleur depuis la fin de seconde guerre mondiale.
Dans le bouleversement néolibéral et la désindustrialisation des années 80-90, le patronat italien avait repris la main et détricoté les grandes réformes structurelles. Cette victoire du patronat et de la droite avait été sanctionnée en 1991 par la suppression définitive de l’échelle mobile des salaires.
Depuis lors, malgré un taux de syndicalisation relativement important (un peu plus de 32 % ) (5) les syndicats s’étaient repliés sur des batailles purement défensives et sur des offres de services aux affiliés (comme une bonne partie des syndicats européens). En 2002 ils avaient mené une grande bataille contre le gouvernement Berlusconi qui voulait supprimer l’article 18 du Statut des travailleurs les protégeant contre les licenciements abusifs. Mais la bataille fut sans lendemain.
Les gouvernements successifs (notamment ceux dirigés par des Premiers ministres appartenant su PD — Centre-gauche —) (6) installèrent une flexibilité et une précarisation accrue du travail. Cette précarisation a eu aussi des effets sur la syndicalisation des travailleurs même si les syndicats ont mis en place des structures particulières pour tenter de répondre à leurs besoins et à leur défense.
De la même manière qu’ils se sont tournés avec des succès variables vers les travailleurs migrants, particulièrement exploités dans l’agriculture.

Aujourd’hui une autre stratégie syndicale nettement plus offensive semble se dessiner. Il faut dire que le gouvernement Meloni en fournit l’occasion. La précarisation du travail s’aggrave encore et la cheffe de la coalition de la droite et de l’extrême-droite a supprimé le « revenu de citoyenneté » (7) instauré par les Cinque Stelle qui avait permis, malgré son montant modeste (550 € par mois) de sortir un million de familles de la pauvreté absolue, principalement dans le Sud.
Cette mesure que les syndicats ont assimilée à une « guerre contre les pauvres » est emblématique de la politique socio-économique du gouvernement. On verra dans les jours et les semaines à venir si la radicalisation syndicale se confirme et si la mobilisation persiste. C’est, en tous, une autre bataille syndicale et politique qui se dessine.

Hugues Le Paige,
sur son blog et dans l’Asympto avec l’aimable autorisation de l’auteur.

(1) Historiquement la CGIL (Confederazione Generale Italiana del Lavoro) était liée au PCI et l’UIL (Unione Italiana del Lavoro) aux socialistes. La CISL (Confederazione Italiana Sindacati Lavoratori,syndicat d’origine chrétienne) n’a pas appelé à l’action et se limite aux rares discussions avec le gouvernement d’extrême-droite. Les autres journées d’action auront lieu les 20, 24, 27 novembre et le 1er décembre.
(2) L’article premier prévoit que la République est basée sur le droit au travail.
(3) Cette décision s’appuie sur une décision contestée de la Commission de Garantie, chargée de réguler les situations administratives et qui avait refusé le caractère général de la grève. Salvini a déclaré qu’il aurait de toute manière pris la mesure d’interdiction et de réquisition.
(4) Voir notamment ; « Sotto attaco il sindacato che torna al conflitto », Filippo Barbera, Il Manifesto 18/11/202
(5) Par comparaison le taux de syndicalisation en France tourne autour des 10 % et dépasse les 49 % en Belgique.
(6) Notamment en 2013 et 2014, les gouvernements Renzi (avec le Job’s Act) et Letta
(7) Équivalent du RSA en France et du RSI en Belgique

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