UNE HISTOIRE DE FEMME par Marie Wiener

Visite au centre fermé de Bruges (anciennement prison pour femmes).
C’est la cantine qui tient lieu de parloir : vaste local, haut de plafond, décoré de grands dessins très colorés, grandes baies vitrées en partie voilées de coton écru. C’est lumineux et… mais oui, agréable, pour moi du moins.
Nous sommes trois visiteuses : j’ai eu deux heures de route pour arriver de Bruxelles. Th. vient de La Louvière et X en train et bus de Verviers: ça leur prend la journée…
Mimi apparaît, avec les deux autres gars visités.
Petite bonne femme au bassin rond, au très très beau visage, très doux: petit nez, bouche parfaite, et les ravissants yeux marron foncé qu’ils ont – chez elle l’iris est plus foncé que sa peau.
Elle s’est coiffée d’un turban noir qu’elle enlève dès que je lui remets sa grande étole de mousseline claire.
Elle semble sereine, elle si craintive quand nous nous déplacions en ville et croisions des flics : « Police ! Police…?», l’air de demander : sont-ils là pour moi ?

Plus rien de cela, à présent. Ils l’ont arrêtée en même temps que S., qu’elle a fait passer pour son compagnon. Cachot avec lui et une autre femme, je crois, avec la tinette au milieu. Si j’ai bien compris, elle a demandé et obtenu d’utiliser un autre WC, fermé. Elle a d’abord refusé de donner ses empreintes. «OK, tant que vous ne les donnez pas, vous restez au cachot !». Ils les ont donc données, tant elle que S.
Souriante et inchangée : je lui montre ma monnaie et lui propose de prendre une boisson à l’automate. Non. C’est elle qui m’offre un thé : il y a au comptoir un samovar d’eau chaude et des sachets à disposition. Pas de sucre pour moi, elle le sait bien.
Par contre, elle a prévu le petit berlingot de lait (pour me verser mon nuage dans le gobelet) et même le mini paquet de deux spéculoos.
Inchangée, l’irréprochable petite ménagère qui, chez moi, à tout bout de champ, me faisait signe des deux pouces tournés vers les épaules: « Arrête, cette corvée-là est aussi pour moi! ».
Souriante et optimiste.
Elle demande des nouvelles de ses compagnons d’hébergement, des voisins et de leur chien chez lesquels on va regarder le football à la télé, de Judith, de ma fille bien sûr.
Et de tous ceux et celles dont elle parvient vaille que vaille à prononcer le nom. Mon adorable et si tendre Mimi !

Après quelques semaines, Mimi est sortie de prison, et revenue chez moi.
Le Covid a commencé, avec son confinement “strict” du début. En plus de Mimi, j’en hébergeais quatre.
J’ai réuni tout le monde et leur ai expliqué la situation, en concluant: vous pouvez tous rester ici. Vous pouvez aussi décider de partir: mais si vous partez, vous ne pourrez plus revenir chez moi, à cause des risques de contagion par le Covid.
Mimi m’a fait remarquer que, par intermittence, ça faisait 9 mois qu’elle logeait chez moi. Avant la fin du confinement elle est partie.
Selon les infos et recoupements, Mimi est l’une des premières à n’être pas passée de Calais en UK par camion… mais en petit bateau!
Cet été, je suis allée à Londres embrasser Mimi et quelques autres amis.
Ils et elles y sont tous et toutes bien installé·es. La Grande-Bretagne leur a accordé le permis de séjour (généralement pour cinq ans). Puis ils et elles ont déniché logement et boulot.
Mimi, en outre, a fait un bébé. Sur cette photo de l’accueil chaleureux que j’ai reçu en gare de St Pancras, Mimi est assise, sa fille sur les genoux.

Marie Wiener.

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