JEUNES FEMMES À LA RUE par Marie Wiener

Ces derniers mois, j’héberge surtout des hommes, demandeurs d’asile laissés à la rue, parce que la Belgique ne remplit pas l’obligation légale de les héberger.
Durant des années cependant, j’ai surtout hébergé des “sans papier” qui cherchaient à passer en Angleterre. Ces hommes et ces femmes se rassemblaient le soir au Parc Maximilien. Flash back sur cette période.

Je suis au Parc Max, il est 21h…
J’avise deux jeunes femmes qui discutent. J’en accoste une: «You are two? », en désignant l’autre. « No, five » répond-elle.
Une femme d’âge mûr, drapée dans un grand voile, intervient : « Yes, yes, they are two: take them ! ».
J’imagine qu’elle est l’animatrice de ce petit groupe de cinq, que je distingue à présent comme tel. Et les deux filles nous regardent alternativement, leur doyenne, engageante, et moi un peu prise au dépourvu : «OK!»
Je les embarque avec un troisième « invité », que je dois déposer en route.
Je m’arrête donc là où il est attendu. Il salue les filles et sort de la voiture. Je sonne chez son hébergeuse.
Quand je veux redémarrer, S., celle que j’avais accostée en premier, est accroupie au bord du trottoir et vomit : « Oh, I am so sorry ! » .
Ai-je conduit avec tant d’hésitations et d’à-coups qu’elle a eu le mal de voiture? « No, don’t be sorry, I am pregnant… » Ah, voilà !
A la maison, elles remercient pour l’accueil, pour le thé. Elles hésitent puis donnent tout de même leur linge à laver (« It will be dry tomorrow, I promise!»)
Le lendemain, je les convaincs de rester une deuxième nuit.
Ce qui me permettra, en les ramenant Gare du Nord, de les conduire à la consultation médicale du Hub Humanitaire.
L’amie reste distante.
Par contre, S. m’observe et cherche à aider.
Elle met la table du mieux qu’elle peut : les couverts sont rassemblés, non pas à gauche ou à droite de l’assiette, mais horizontalement, au bord de la table.
Après le repas, elle aligne scrupuleusement les couverts sales dans le lave-vaisselle.
Elle me voit couper le persil aux ciseaux dans un verre : «Ah!!» Ca lui semble inédit et vraiment astucieux. Avant de ranger au frigo les œufs durs qui restent, j’en casse un peu la pointe. «Why?».
Je lui explique que c’est pour les différencier des œufs crus : «ah !». Encore une astuce qu’elle n’oubliera pas. Je ne m’étais jamais perçue comme une ménagère aussi accomplie.
Finalement, une heure avant le moment convenu pour repartir, elle m’explique qu’elle veut nettoyer par terre: vraiment ?
J’hésite: « You are pregnant !… and you have not to do that ! »
Elle insiste et saisit la raclette et le seau qu’elle a repéré à l’arrière.
Elle a raison : un coup de torchon serait bienvenu.

Marie Wiener (1)

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