La NUPES en force au Parlement : CHAMPAGNE ET GUEULE DE BOIS

D’abord, ne boudons pas notre plaisir. Macron est battu, deux mois après son élection en trompe-l’œil face à Le Pen, sans majorité parlementaire pour perpétrer sa casse des services publics et ses cadeaux Bonux aux milliardaires (1).
Castaner l’éborgneur, président du groupe LREM, est éliminé. Richard Ferrand, le président de l’Assemblée Nationale, est éliminé. Et la ministre Amélie de Lombard de Montchalin, l’insulteuse en chef de la Macronie, celle qui voyait des anarchistes islamistes poutiniens partout, est en transition écologique vers la poubelle – dans l’agréable compagnie d’une centaine de ses collègues. Ca, c’est fait.

Mais je pressentais à la mi-journée de dimanche, en découvrant peu à peu les chiffres de participation aux élections législatives françaises, que la fête allait avoir un goût de trop peu. Seule une mobilisation massive des abstentionnistes, de la jeunesse et des classes populaires aurait en effet permis à la Nouvelle Union Populaire Écologique et Sociale d’arracher sur le fil une majorité parlementaire alternative, pour pouvoir vraiment appliquer son programme.
A défaut, elle devrait se contenter d’être la première force d’opposition à Macron. Ce n’est pas inintéressant, mais c’est un autre film.
Le scénario fut pourtant encore moins drôle que prévu.
Car pendant que des dizaines de député·es écologistes, socialistes, communistes et insoumis·es entraient par la grande porte au Parlement, sous la bannière commune de la NUPES, quatre-vingt-neuf député·es du Rassemblement National s’engouffraient par la fenêtre et s’invitaient eux aussi à la fête, en criant simultanément “victoire” !

650 mesures concrètes qui auraient dû mobiliser la jeunesse

On retrouve donc aujourd’hui à l’Assemblée Nationale les trois “blocs” qui s’étaient déjà affirmés à la présidentielle : le bloc “populaire”, autour de Mélenchon, la droite libérale, autour de Macron, et l’extrême droite, autour de Le Pen.
Mais cette fois-ci, dans de nombreuses circonscriptions, la victoire s’est souvent jouée au coude à coude, à une pincée de voix près. Moins d’une centaine de bulletins dans treize d’entre elles ! Trois voix dans la 6ème circonscription de Haute-Garonne ! Quatre voix dans la 8ème de Seine-et-Marne ! On aurait presque pu jouer certaines circonscriptions au vogelpik (3).
Le scrutin majoritaire à deux tours, censé amplifier la victoire du vainqueur, n’a fait ici qu’embrouiller facétieusement la hiérarchie des vaincus.
Au total, la NUPES a rassemblé 6 millions de voix (un million de moins que J-L Mélenchon à la présidentielle). Le Rassemblement National, 3 millions.
Et il n’aura manqué que 16.000 voix à la NUPES, saupoudrées sur 150 circonscriptions, pour obtenir une majorité au Parlement ! Dingue, non ?
Le slogan de Mélenchon (“Élisez-moi premier ministre !”), si ambitieux fut-il, n’était donc pas complètement hors sujet ou hors réalité.
Mais il était très difficile à atteindre en l’état, sans une “sur mobilisation” exceptionnelle de l’électorat populaire. Et ce ne fut pas le cas. Du moins pas partout.

Si l’entrée en force de la NUPES était attendue par les sondeurs, celle du Rassemblement National a surpris tout le monde.
Comment expliquer que le RN ait ici pu décupler le nombre de ses députés ?
J’y vois au moins trois raisons.
La première, c’est l’effet Zemmour. Création purement médiatique, annoncé comme “présidentiable” en couverture de tous les magazines avant même de s’être officiellement déclaré, et alors qu’il n’avait même jamais été élu conseillé communal à Berdouilles-les-Oies, Zemmour a mené une campagne profondément raciste et abjecte. Il a paradoxalement renforcé l’assiette des thématiques d’extrême-droite dans l’opinion, tout en rendant, par contraste, Marine Le Pen presque “fréquentable”. En créant ainsi un microclimat idéologique dans lequel les dinosaures du RN ont ensuite pu croître et s’ébattre.

La seconde, c’est l’effet Macron. Sa détestation est telle, dans certains milieux populaires, qu’on voterait pour le diable plutôt que pour un de ses sbires. Macron et ses ministres ont en outre régulièrement mis à l’agenda des thématiques qui servaient la soupe au Rassemblement National. C’est Blanquer qui traque “l’islamo-gauchisme” dans les universités, Darmanin qui trouve Le Pen “un peu molle” sur l’immigration, et les lois sécuritaires qui s’empilent chaque année comme des feuilletés à la matraque.
Tactiquement, cette complaisance peut s’expliquer.
Avoir une Le Pen au second tour d’une élection présidentielle, c’est l’assurance-vie éternelle de Macron.

La troisième raison, c’est la stratégie des macronistes pendant la campagne : la rupture du “front républicain”, ce qu’on appellerait chez nous “le cordon sanitaire”. Car après avoir fait, il y a à peine deux mois, appel à la gauche et aux castors du “front républicain” pour “faire barrage” à Marine Le Pen à la présidentielle, voilà les mêmes, oui, exactement les mêmes, qui rejettent dos en dos la NUPES et le Rassemblement National sous l’étiquette infamante “d’anti républicains”.
«On avait malheureusement des cas où c’était très compliqué de définir qui était le candidat le plus républicain. Regardez un duel entre François Ruffin et le Rassemblement national», a osé sans rire lundi Aurore Bergé sur France Info, au lendemain de la percée historique de l’extrême droite à l’Assemblée nationale. Tiens, tiens, c’est très curieux.

Le sans-culotte François Ruffin. Pas républicain , lui ???

Personnellement, le sans-culotte François Ruffin, qui vit avec le SMIC et publie ses petites vidéos depuis sa cuisine, “liberté, égalité, sororité”, me semble bien plus “républicain” que la totalité du groupe LREM.
Faudrait peut-être s’entendre sur la signification des mots.
C’est quoi, pour vous, la République, madame Bergé ? Les seuls amis de monsieur Bolloré ? Les  patrons, et pas les salariés ? Ceux qui votent Macron, et pas tous les autres ?
En attendant, mettre un signe d’égalité entre un insoumis, un socialiste ou un écologiste de la NUPES et un facho, ce n’est pas seulement une abjecte façon d’insulter les premiers. C’est aussi une abjecte façon de banaliser les seconds.
Faut-il donc s’étonner si, dans les 63 duels qui ont opposé au second tour des candidat·es NUPES et RN, les macronistes battus n’ont appelé que huit fois à voter pour la gauche ? Il faut avouer qu’en retour, les électeurs de gauche ne se sont pas précipités pour voler au secours de LREM dans ses duels avec le RN. Mais à gauche, la consigne était au moins claire : pas une voix pour le Rassemblement National. Même si, dans les urnes, les électeurs ont visiblement fait ce qu’ils voulaient.

Quant à la NUPES, forgée comme on le sait dans l’extrême urgence à la sortie des présidentielles, elle a passé sans trop d’encombres son premier baptême du feu électoral (2). Avec 137 élus (74 FI, 12 PCF, 29 PS et 23 écologistes), qu’on peut arrondir à 150 avec les élus ultramarins. Pas mal, surtout si l’on se rappelle où en était encore la gauche, il y a trois mois à peine. Divisée, morcelée, impuissante.
De très nombreux et très nombreuses député.es de la NUPES, dans toutes ses composantes partidaires, ont depuis été élu·es avec plus de 60, 65 et même 70 % des voix ! Dont quatre député·es LFI, dès le premier tour !
Et cela, même si les premières estimations accordaient 50 députés de plus à la NUPES, ce qui eut concrétisé une plus franche victoire. Mais tout s’est souvent joué dans un mouchoir de poche.

Si la NUPES n’a donc pas su renverser la table pour imposer son propre programme, elle a d’emblée infligé une lourde défaite aux macronistes, en les mettant sèchement en minorité au Parlement.
Toute future loi ou réforme devra désormais passer par des débats parlementaires, et trouver une majorité politique pour la soutenir.
Macron la trouvera peut-être du côté des Républicains, l’ancien parti de Sarkozy, qui avec 64 sièges, pourrait devenir un partenaire privilégié de la Macronie – même s’il s’en défend aujourd’hui.

Dans les jours qui viennent, la NUPES devrait à présent consacrer un peu d’énergie à sa structuration interne au Parlement.
L’accord initial prévoyait explicitement que chaque force politique dispose de son propre groupe parlementaire (ce qui implique un certain temps de parole, et des capacités d’initiatives propres), et que la NUPES fonctionnerait “seulement”, sous ce nom, comme un “intergroupe”.
Vu l’émergence du groupe “Rassemblement National”, fort de ses 89 membres, Jean-Luc Mélenchon a toutefois publiquement proposé depuis que la NUPES forme un seul et même groupe parlementaire, pour clairement incarner la principale force d’opposition, bénéficier d’une meilleure visibilité, et profiter des “avantages” afférents à cette position dominante (comme la convoitée présidence de la Commission des Finances, traditionnellement dévolue au principal groupe d’opposition).

Sauf doigté miraculeux des négociateurs de la France Insoumise, cette proposition me semble toutefois avoir peu de chances de se concrétiser, car tous les autres partenaires de la FI souhaitent conserver une certaine autonomie politique et organisationnelle.
Il va donc falloir rapidement trouver un équilibre entre la forte personnalité de Jean-Luc Mélenchon, visiblement habitué à suivre et à concrétiser ses intuitions, et le fonctionnement plus collégial d’un intergroupe, qui n’obéit pas nécessairement aux mêmes hiérarchies ni aux mêmes priorités. Après dix-huit mois d’une campagne présidentielle intense, où JLM était au centre de tout, cela lui demandera probablement un certain effort – d’autant qu’il n’a pas voulu, cette fois, être élu lui-même député.
Son éventuelle place dans un organigramme parlementaire reste donc, elle aussi, à définir.

Claude Semal 21 juin 2022

(1) Si Macron a réhabilité le magicien Majax, je peux bien me rappeler la lessive Bonux, l’ancêtre potasse des Kinder Surprise.
(2) Aux urnes, citoyens ! LA MARCHE NUPESiale
(3) jeu des fléchettes, en Belgique.

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