DU SUIVI DANS LES ARTICLES par Bernard Hennebert

Il y a plusieurs types d’articles. Celui-ci mélange deux professions que j’ai exercées : celle de journaliste et celle d’animateur culturel dans le domaine de l’éducation permanente. J’affectionne donc particulièrement les « suivis » – ce travail d’investigation qui constate une évolution concrète sur le terrain après la publication d’un article. Et j’aime partager ces diverses étapes avec mes lecteurs, histoire de faire la nique au fatalisme ambiant.

Pour mon dixième sujet publié dans cet « Asymptomatique », je suis donc bien content de revenir sur deux articles déjà traités. L’un a permis à une élue fédérale de questionner l’un de nos Secrétaires d’État. L’autre a été repris par un journaliste de la presse régionale, ce qui a donné la possibilité à nombre de Verviétois de découvrir un cas de mauvaise gestion muséale dont ils n’avaient sans doute pas conscience. À eux donc revient désormais la responsabilité d’imaginer un suivi, tenter de faire bouger la situation dénoncée.

Une solution « à la belge » ?

Le 19 février 2024, L’Asymptomatique s’interrogeait : « Le musée d’Art Ancien pratique-t-il la shrinklation ? ».
De quoi s’agit-il ? Depuis 2018, le public est obligé d’acheter un seul ticket à 10 € pour une sorte de « vente en lot » de deux de ses musées qui ne peuvent plus être découvert avec des billets séparés : le musée Fin de Siècle et le musée d’Art Ancien (les Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique nomment ce duo « Old Masters », pour éviter peut-être de devoir traduire leurs noms en français et en néerlandais. Au plus c’est court, au plus cela plait sans doute à son service de communication).

Le ministre Thomas Dermine

Je révélais dans cet article que, depuis janvier 2024, le premier a bien discrètement fermé pour plusieurs années. Et que se passe-t-il si l’on veut aujourd’hui admirer uniquement le musée d’Art Ancien ? L’offre a-t-elle été parallèlement réduite de près de 50% ? Non, le ticket reste inchangé, à 10 €. (1)
La député fédérale Sophie Rohonyi (DéFI) a repris notre interrogation dans la question (n° 296) qu’elle a posée à Thomas Dermine (PS), le secrétaire d’État ayant en charge les institutions scientifiques, dont nos musées fédéraux.
Celui-ci lui a répondu qu’il n’entendait pas changer le montant de cette tarification. En effet, c’est lui qui décide le montant des tickets pour les visites des fond permanents des institutions dont il a la charge (et, par contre, ce sont les directions des musées elles-mêmes qui décident des montants des entrées pour leurs expositions temporaires).
Il lui a indiqué : « (…) Le Musée Fin-de-Siècle a effectivement fermé ses portes début de cette année dans le cadre des étapes suivantes de la rénovation des Musées Royaux des Beaux-Arts ».

Mais bientôt, pour 10 €, le visiteur devrait pouvoir contempler davantage que les oeuvres les plus anciennes. Thomas Dermine ajoute en effet : « Cependant, une partie des œuvres qui étaient exposées au Fin de Siècle vont être redéployées dans les salles du musée Old Masters. Nous allons également tenter d’intégrer une sélection d’Art Moderne dans notre parcours permanent (…) ».
Voilà donc ce qui va sans doute s’avérer être une bonne nouvelle pour une partie du public qui n’a cessé de manifester pour marquer son mécontentement depuis que Michel Draguet, l’ancien directeur des Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique, avait fermé abruptement le musée d’Art Moderne en février 2011. Or celui-ci n’est toujours pas réouvert, ni rue de la Régence, ni ailleurs, treize ans plus tard.

« ÉCONOME » OU GASPILLEUR ?

Depuis le 15 avril 2024, le musée des Beaux-Arts de Verviers a retrouvé son obligation fort originale voulue depuis 1885 par son mécène : celle d’être « accessible au public, à titre gratuit, au moins deux fois par semaine ».
Cette évolution fait suite à une plainte de la Ligue des Usagers Culturels qui avait constaté que cet avantage « pour tous » était passé à la trappe lors de la réouverture de cette institution dépendant de la ville, suite aux inondations de la mi-juillet 2021.

Dans son article du 5 avril 2024, l’Asymptomatique constate pourtant que cette obligation testamentaire et contractuelle, la Ville de Verviers et la direction de son musée semblent pourtant bien décidées « à vouloir la contourner… en faisant mine de la respecter ».
En effet, avant inondation, elle était appliquée le plus souvent, au fil des décennies, les journées entières de chaque week-end. Désormais, ce sera quand la population active n’est pas disponible, à savoir les lundis et mardis (non fériés) de 10H à 12H… et à condition que l’éventuel futur visiteur communique quinze jours à l’avance ses coordonnées à l’institution via l’e-guichet de la ville (2).

Le musée “Old Masters” à Bruxelles. Quand l’anglais remplace à la fois le français et le néerlandais. 

Ces informations ont été reprises par l’important quotidien régional « La Meuse » dans un article de Yves Bastin qui s’étend sur cinq colonnes, illustré d’une photo, dans l’édition du 19 avril 2024. On y découvre que l’échevin de la culture Jean-François Chefneux se justifie ainsi auprès du journaliste : « On est loin du compte ».
Pour lui, il s’agit de tendre vers un équilibre des finances alors que la culture et les musées ont écopé, suite aux inondations. La ville a fait son possible pour rouvrir au plus vite en gardant des tarifs accessibles, avec diverses réductions. Dès lors, cette plainte « constitue un coup de gueule qui relève d’un monde déconnecté de la réalité de l’argent public ».
Attaquer ainsi, permet d’éviter de s’excuser pour l’erreur (ou la faute) commise.
Pourtant, l’échevin semble oublier que la plainte se terminait de la façon suivante: « Bien entendu, le financement de la culture est indispensable et difficile. Il en est de la responsabilité de tous d’y réfléchir, et nous pensons ici particulièrement à votre conseil d’administration ainsi qu’à nous-même. Nous soutenons le développement de la disposition d’une tirelire attractive et personnalisée à la sortie des musées uniquement les jours de gratuité pour tous ». Pour être concrète, la L.U.C. avait notamment rappelé une expérience menée en ce sens à Genève à laquelle elle avait consacré l’article suivant sur son blog (3).

Les jours de gratuité ouvrent la porte à un nouveau public.

Les jours de gratuité ouvrent la porte à un nouveau public. Et au final… ils sont “rentables” ! (photo B. Hennebert)

Cet exemple est-il bon ? Donne-t-il des résultats ? Le hasard fait que Le Soir s’y intéresse. L’expérience dure maintenant depuis plus de deux ans lorsque Jean-Marie Wynants interviewe le directeur du musée d’Art et d’Histoire de Genève (MAH) pour le MAD du 24 avril 2024 (supplément culturel du quotidien dans ses éditions du mercredi) et conclut ainsi son article : « Une politique audacieuse mais qui porte ses fruits. Un exemple à suivre ? ».
Marc-Olivier Wahler, le directeur du MAH, lui a en effet déclaré : « Les visiteurs paient ce qu’ils veulent, tout simplement. Bien sûr, certains craignaient que nos finances s’en ressentent. C’est le contraire qui se passe. D’une part, avec les réductions de toutes sortes, il y avait finalement peu de gens qui payaient le prix plein. D’autre part, si désormais, certaines personnes décident de ne rien payer, elles sont plutôt rares. La plupart des visiteurs choisissent de verser quelque chose. Mais le plus frappant, c’est que certains paient à la sortie et n’hésitent pas à donner parfois beaucoup plus que l’ancien prix d’un ticket d’entrée. Du coup, nos recettes ont nettement augmenté ! ».
N’est pas économe qui pensait l’être… N’oublions pas que l’échevin donneur de leçon a opté pour que la gratuité « pour tous » se déroule chaque lundi et mardi de 10H à 12H. Or ces jours-là, le musée est habituellement fermé. Ce qui devrait donc nécessairement coûter des frais supplémentaires (salaires, électricité, gardiennage, etc…) – pour peu que le musée soit réellement ouvert. Mais sera-ce vraiment le cas – puisque son ouverture est conditionnée par d’éventuelles “réservations” obligatoires quinze jours à l’avance ?
Et pire encore. Le musée fait beaucoup pour rendre confidentielle l’existence de ces gratuités « pour tous » de tous les lundis et mardis. En effet, sur son site scruté le 16 mai 2024, là où il rappelle d’autres accès gratuits, il omet de citer ceux-là (4).
Opération suivante à mener dans un an: comparer le résultat (sans doute quasi inexistant) d’un an de fréquentation au cours de ces lundis et mardis avec un an d’entrées gratuites lors de l’autre horaire d’avant inondation.
Choisir un horaire… peut donc s’avérer volontairement meurtrier. Ce n’est pas un détail, mais une stratégie consciente. Vive la culture, vive les visiteurs.

Bernard Hennebert.

(1) Notre article complet :
LE MUSÉE D’ART ANCIEN PRATIQUE-T-IL LA « SCHRINKFLATION » ? par Bernard Hennebert
(2) Notre article complet :
Verviers : LE MUSÉE, LE MÉCÈNE ET SES « HÉRITIERS » par Bernard Hennebert
(3) Genève : payer avant ou après, et combien on veut! http://la-luc.blogspot.com/search?q=genève
(4) https://www.verviers.be/loisirs/culture/musees/actualites-musees/le-1er-dimanche-du-mois-cest-gratuit-au-musee

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